mercredi 31 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (III)


Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 7 à 10
Hubert (J. Hamman) a réussi à faire évader Odette (E. Jéhanne) de la caravane des Bohémiens. Comme elle se refuse à lui, il décide de l'emmener à Sever-Turn avec toujours Rouletabille (G. de Gravone) à ses trousses...

Les quatre derniers épisodes de ce Ciné-Roman d'Henri Fescourt confirment l'impression ressentie avec les épisodes précédents. Fescourt se contente de filmer l'intrigue cousue de fil blanc créée par Gaston Leroux, quelque peu en panne d'inspiration. Contrairement à Mathias Sandorf (1921), Les Misérables (1925) et Monte-Cristo (1928) qui sont tous de magnifiques réussites, Rouletabille est nettement moins imaginatif. Les personnages ne sont que des pions qui se déplacent sur un échiquier, sans développement psychologique. Fescourt est également confiné, la plupart du temps, en studio dans ces derniers épisodes ce qui n'arrange rien. Le monde des Bohémiens dans leur ville sacrée de Sever-Turn est à peine esquissé et c'est bien dommage. Quant à nos héros, le travestissement de Rouletabille en femme fatale était vraiment un secret de polichinelle qui n'a surpris aucun spectateur. Bizarrement, le film reprend vie pour une séquence qui semble avoir été ajoutée pour pimenter un plat trop fade, lorsque Joë Hamman lutte à main nue contre un taureau de Camargue. On annonce même cette scène dans l'épisode précédent avec un "teaser" appuyé. C'est là qu'on réalise ce que ce film aurait pu être avec une intrigue moins théâtrale. Hamman est seul face à un taureau (un buffle dans le film) et il montre son talent d'athlète dans un magnifique paysage camarguais qui soudain donne une ampleur insoupçonnée à son personnage ainsi qu'à la fin de ce feuilleton. On réalise alors à quel point le film a manqué de mouvement et de cette étincelle de suspense qui l'aurait fait décoller. Apparemment, Rouletabille a pourtant été apprécié du public de 1922, bien plus que Le Fils du flibustier (1922), un sérial de Louis Feuillade sorti au même moment qui fut un échec. Je crois que Rouletabille pourrait gagner sérieusement en atmosphère avec une copie de meilleure qualité. L'aspect granuleux et légèrement flou ne permet pas d'apprécier la composition visuelle comme il le faudrait. Un Fescourt relativement moyen, mais que je ne regrette pas d'avoir vu.

dimanche 28 décembre 2014

The A.B.C. of Love 1919

Harry (Holmes E. Herbert) et Kate (Mae Murray)
Un film de Léonce Perret avec Mae Murray, Holmes E. Herbert, Dorothy Green et Arthur Donaldson

En séjournant à la campagne, le dramaturge Harry Bryant (H.E. Herbert) fait la connaissance de Kate (M. Murray) une orpheline qu'il fait engager dans une auberge voisine. Harry tombe amoureux de la jeune sauvageonne et l'épouse. Le retour en ville est difficile pour la jeune épouse illettrée qui, de plus, doit faire face à une rivale Diana Nelson (D. Green)...

Harry et Kate ne se parlent plus
En 1919, Léonce Perret produit ses propres films dont il écrit lui-même les scénarios. Celui de The A.B.C. of Love n'est certes pas très original, mais, comme toujours, ce qui fait le charme des films de Perret est présent dans cette délicieuse comédie matrimoniale. La direction d'acteurs est absolument remarquable tout autant que la composition de chaque séquence. Une toute jeune Mae Murray, cheveux blonds en bataille, nous rappelle exactement Mary Pickford dans son rôle de sauvageonne. Il est d'ailleurs évident qu'elle s'inpire de Mary. Il y a une grande fraîcheur dans son personnage de jeune fille bien loin de la vedette minaudante qu'elle deviendra plus tard. De même, Holmes E. Herbert est nettement plus spontané et naturel que dans ses futurs rôles de "père la morale" comme dans A Woman of the World (1925) de Mal St. Clair. On suit donc avec intérêt le bonheur suivi des déboires conjugaux de Harry et Kate, même si on devine rapidement le dénouement. La première partie champêtre est très enlevée et charmante avec un rythme soutenu et primesautier à l'image de la jolie Kate qui arrive tel un tourbillon dans la vie bien rangée d'Harry. Dans la deuxième, elle tente maladroitement de se faire accepter de la bonne société citadine. Sa rivale est rouée et cherche à utiliser son époux à des fins d'ambition personnelle. Perret amène le rapprochement des deux époux avec infiniment de délicatesse, sans forcer le trait. Le film contient nombre d'idées de mise en scène comme celle où les deux époux séparés par un mur se lamentent chacun de leur côté ou lorsque Kate rêve du livre qu'elle vient de lire et se revoit soudain aux beaux jours de sa romance avec Harry en vignette. La photo signée Alfred Ortlieb est absolument remarquable avec tous les atouts habituels de Perret: contre-jours, extérieurs éclairés par le soleil et mise en valeur du décor par des clair-obscurs. Une délicieuse comédie visible sur le site European Film Gateway dans une belle copie néerlandaise.
L'alphabet de l'amour...

samedi 27 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (II)

Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 4 à 6
Rouletabille (G. de Gravone) part à la recherche d'Odette (E. Jéhanne) qui a été enlevée par les Bohémiens en partance pour leur sanctuaire de Sever-Turn en Europe Centrale. De son côté, Hubert (J. Hamman) est lui aussi sur ses traces...

Rouletabille (G. de Gravone)
face à un masque mystérieux chez Hubert
Les trois épisodes suivants mettent en valeur le jeune Rouletabille, espiègle et malicieux, qui n'hésite pas à donner de sa personne dans ses enquêtes. Il est jeté d'un train en marche par Andrea (R. Joubé) et Callista (S. Talba). Il utilise aussi divers déguisements, souvent cocasses, pour tenter de passer inaperçu. Il a finalement recours au travestissement pour amadouer son concurrent Hubert. Dans le rôle de ce dernier, Joë Hamman montre ses talents de cavalier et de cascadeur en attrapant un train en marche à dos de cheval. Cependant, les acrobaties et les retournements de situation ne sont pas aussi soutenus qu'on aurait pu l'espérer. Fescourt introduit un humour bienvenu avec un Gabriel de Gravone très à l'aise en détective, mais il n'a pas toujours un scénario à la hauteur. L'intrigue patine quelque peu et le rythme s'en ressent. La qualité de la copie n'est malheureusement pas optimale; elle est teintée, mais elle manque de netteté et de définition. Certaines séquences qui devaient avoir une réelle atmosphère, telle que la danse nocturnes des Bohémiens autour d'un feu, en souffrent. Sinon, on peut reconnaître à Fescourt une réelle intelligence dans le choix de ses interprètes. Edith Jéhanne, avec son allure féline et ses yeux en amande, est une Odette parfaite, à la foie ingénue et mystérieuse. De Gravone, que j'ai vu tant de fois dans des rôles dramatiques comme Marius dans Les Misérables (1913) ou Frédéric dans L'Arlésienne (1922), est bien plus à l'aise dans le registre comique. Quant à Joë Hamman, c'est une figure à part dans le cinéma français des années 1920. Sa haute silhouette mince et athlétique suggère plus les héros américains du grand écran et cela donne un relief particulier à son personnage. Romuald Joubé, qui fut l'interprète de Gance, d'Antoine et de Raymond Bernard, est ici plus en retrait en Bohémien tourmenté et un peu frustre, mais parfaitement crédible. Il n'y a maintenant plus qu'à espérer que l'intrigue retrouve un peu de tonus pour les quatre derniers épisodes. Selon Fescourt, Gaston Leroux se serait inspiré de légendes tziganes pour l'écriture de son feuilleton. Il y a effectivement un potentiel intéressant dans cette histoire de prophétie dans le livre saint des Bohémiens annonçant l'arrivée d'une "nouvelle reine" qui se trouve incarnée en Odette par une curieuse coincidence. Pourtant, cet élément prophétique à la limite du surnaturel n'est guère exploité jusqu'à présent. A suivre!

mercredi 24 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (I)

Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 1 à 3
Jean de Santierne (J. Dehelly) s'apprêter à quitter sa maîtresse, la bohémienne Callista (S. Talba) pour épouser Odette (E. Jéhanne). Callista lui jure qu'elle se vengera. De son côté, Hubert de Lauriac (J. Hamman) convoite lui aussi Odette et semble prêt à tout pour obtenir sa main. C'est alors que le père d'Odette est retrouvé mort dans son jardin. Odette a disparu. L'ami de Jean, Joseph Rouletabille (G. de Gravone) entre en scène...

Henri Fescourt a travaillé pendant de nombreuses années pour la société des Cinéromans dirigée par Jean Sapène, le patron du journal Le Matin. En 1921, il avait déjà réalisé une excellente adaptation en épisodes de Mathias Sandorf, dont il ne reste qu'un fragment de 2h1/2. En 1922, il s'attaque à un roman de Gaston Leroux avec son personnage fétiche, le journaliste - détective à ses heures - Joseph Rouletabille. Comme tout bon roman-feuilleton, il commence par un prologue qui nous donne des clés sur un objet précieux qui a été dérobé par Hubert de Lauriac (J. Hamman), un aventurier sans scrupules. Il a pris le "Livre des Ancêtres", un manuscrit religieux précieux des gitans pour s'emparer des joyaux qui le décorent. Le premier épisode d'exposition est quelque peu académique et nous fait découvrir les différents protagonistes dans leur environnement. Il y a d'un côté le jeune Jean de Santierne (J. Dehelly), issu d'une bonne famille et son ami Rouletabille (G. de Gravone). On contraste la pure jeune fille Odette (E. Jéhanne) et la bohémienne machiavélique Callista (S. Talba). Les deux femmes déchaînent les passions. Celle d'Andrea (R. Joubé), un bohémien qui a été repoussé par Callista et celle d'Hubert qui rêve de posséder Odette. La trame étant maintenant établie, le deuxième épisode montre un Fescourt nettement plus en train. Il emmène ses héros aux Saintes-Marie-de-la-mer et à Arles où les événements vont se succéder. Rouletabille est interprété par Gabriel de Gavrone qui donne au jeune reporter humour et vivacité. On reconnait avec plaisir le premier cow-boy du cinéma français Joë Hamman - héros de nombreux films de Jean Durand dans les années 1910 - qui est ici un méchant mais avec panache. La fragile Edith Jéhanne, qui tourna si souvent avec Raymond Bernard, est la victime parfaite avec son visage triangulaire à la Lillian Gish. Fescourt introduit pas mal d'humour dans les épisodes 2 et 3 opposant le malicieux Rouletabille et un juge bedonnant qui passe de bar en bar pour engloutir des verres de bière. Le récit est maintenant bien lancé dans les superbes paysages de la Camargue.  J'attends la suite avec impatience. A suivre!

mardi 23 décembre 2014

The Other Half 1919

Katherine (Florence Vidor) au chevet de Jenny (Zasu Pitts)
Un film de King Vidor avec Florence Vidor, Zasu Pitts, David Butler et Charles Meredith

Donald Trent (C. Meredith) revient profondemment changé du front européen avec son ami Jimmy (D. Butler). Bien que Donald soit le fils du patron, il insiste pour être un simple employé dans l'usine de son père auprès de Jimmy. Mais, suite au décès de son père, Donald doit assumer la direction de la société. Il oublie peu à peu ses anciens amis au grand dam de sa fiancée Katherine (F. Vidor) qui est devenue reporter...

Katherine (F. Vidor)
En 1919, King Vidor est un tout jeune metteur en scène. Cependant son premier long métrage The Turn in the Road (1919) (qui est malheureusement perdu) a eu énormément de succès pour son message humaniste imprégné de 'Science Chrétienne' qui montrait la vie de tous les jours. Le cinéaste est persuadé que le cinéma a un message important à faire passer. Lors du tournage de son troisième film, The Other Half, il expliquait sa philosophie: "Je crois au cinéma qui va aider l'humanité à se libérer des chaînes de la peur et de la souffrance qui l'entravent depuis si longtemps. Je me refuse à produire un film qui contiendrait quoi que ce soit qui serait éloigné de la vérité humaine, quoi que ce soit qui blesserait quelqu'un et toute chose qui serait impure en pensée ou en action." On pourrait penser que Vidor veut prêcher la bonne parole. En fait, il n'en est rien. Il y a seulement chez lui ce désir de montrer la vie des gens telle qu'elle est sans chercher à la travestir. Son film est à consonnance sociale sans être prêchi-prêcha. Le titre fait référence aux deux parties de la société qui s'ignorent: les possédants et les employés. Il veut promouvoir la compréhension entre celles-ci avec son film. Ce qui frappe d'abord dans The Other Half, le plus ancien long métrage de Vidor qui nous soit parvenu, c'est la grande simplicité et la justesse de ses acteurs. Ils les placent dans un environnement quotidien et nous les montre en train de déjeuner assis par terre avec leur boîte. Les deux actrices principales sont particulièrement remarquables.
Un magnifique gros plan de Jenny (Zasu Pitts)
La jeune Jenny (une merveilleuse Zasu Pitts) est la petite amie de Jimmy et travaille dans une laverie . Un jour, elle s'effondre épuisée et elle est prise en charge par Katherine, issue d'un milieu favorisée, qui découvre avec tristesse son appartement. Vidor apporte une foule de petits détails qui en disent long sur le personnage. Une malheureuse plante en pot est en train de mourir sur le bord de la fenêtre et Jenny réclame son phonographe pour écouter du jazz, sa seule distraction. Florence Vidor joue la jeune femme issue de la bonne société mais qui reste sensible à la vie des employés, d'où son choix de devenir reporter. Vidor utilise une parabole en montrant le chemin parallèle des deux anciens soldats issus de milieux opposés. Jimmy perd la vue suite à la négligence de son ancien ami Donald qui a négligé de faire réparer un mur qui s'est effondré sur lui. Donald est devenu lui aussi aveugle à la souffrance de ses employés. Sur cette belle et unique copie néerlandaise, la fin du film est manquante. En fait, tout est bien qui finit bien: Jimmy va recouvrer la vue et Donald va retrouver son empathie pour lui grâce à un article de Katherine. Ce beau film de Vidor montre qu'il a été un observateur attentif de la vie de tous les jours bien avant son chef d'oeuvre The Crowd (1928). A voir sur le site European Film Gateway. Un vrai bonheur.

lundi 22 décembre 2014

The Craving 1918

Caroll Wayles (F. Ford) se dédouble dans son delirium tremens
Un film de Francis Ford avec Francis Ford, May Gaston, Peter Gerald, Duke Worn et Jean Hathaway

Le chimiste Carroll Wayles (F. Ford) a développé un puissant explosif qui est convoité par Ala Kasarib (P. Gerald). Ce dernier décide de faire boire Wayles dont il sait l'addiction à l'alcool avec l'aide de sa pupille Beulah Grey (M. Gaston)...

Wayles (F. Ford) obsédé par l'image de Miss Grey (M. Gaston)
Francis Ford (1881-1953) est un des grands oubliés de l'histoire du cinéma. Pourtant, Francis est celui qui a formé son célèbre frère John Ford à la mise en scène. Il ne reste guère de films de lui à part quelques westerns courts produits par Thomas H. Ince tels que le magnifique The Invaders (1912) et Custer's Last Fight (1912). Parmi les longs métrages qu'il a réalisé seul The Craving (1918) a survécu sous la forme d'une belle copie teintée néerlandaise. Francis Ford est un auteur complet: il a écrit le scénario, réalisé le film et joué le rôle principal. Son frère, qui se fait appeler Jack dans ce temps-là, est assistant sur le tournage. L'histoire de The Craving est assez tarabiscotée, mais est surtout le prétexte à de nombreuses séquences de trucage qui sont superbement réalisées. Le héros est alcoolique et parfois sujet à des crises de delirium tremens. Durant l'une de ses crises, il voit un groupe de femmes s'ébattrent dans son verre et dans la bouteille qu'il vient de boire. Une autre fois, il se dédouble sans pouvoir contrôler cette autre image de lui. Bien que l'intrigue principale se déroule principalement en studios, le récit nous emmène par moment sur les champs de bataille européen ou lors d'une révolte en Asie. Ces courtes séquences montrent que Francis Ford avait un sens très sur de la composition visuelle et des scènes d'action. La scène finale est finalement assez banale avec le héros qui réussit à vaincre le traître oriental et à libérer la malheureuse Beulah de son emprise.
Ala Kasarib (P. Gerald) et Beulah Grey (M. Gaston)
Cependant, tout le long du film on remarque des plans particulièrement remarquables comme celui-ci où Beulah tente d'échapper à son tuteur maléfique (voir ci-contre). Il ne fait aucun doute que Francis Ford était metteur en scène et un acteur de talent qui a certainement apporté énormément à son frère John. Malheureusement, sa carrière déclina rapidement et il la termina en tant qu'acteur secondaire spécialisé dans les rôles de vieil alcoolique, souvent dans les films de son frère. Il ne fut pas le seul dans ce cas. De nombreux pionniers des années 1910 devinrent des acteurs secondaires dans les années 1930. L'industrie du cinéma est sans pitié pour les pionniers. On peut visionner The Craving sur le site European Film Gateway.

samedi 20 décembre 2014

Cameo Kirby 1923

Un film de John Ford avec John Gilbert, Gertrude Olmstead et Alan Hale

Cameo Kirby (J. Gilbert) est accusé d'avoir provoqué le suicide du Colonel Randall (Eric Mayne) qui avait perdu sa propriété au poker avec lui. C'est en fait un nommé Moreau (A. Hale) qui la convoitait lui-même qui l'accuse et va tenter de l'éliminer...

Adele Randall (G. Olmstead) et
Cameo Kirby (J. Gilbert)
Cette production Fox est le film le plus important en termes de moyens de John Ford avant The Iron Horse (Le Cheval de fer, 1924). Le film n'a survécu que sous la forme d'une copie tchèque tronquée (il doit manquer env. 20 min) avec de longs intertitres bavards en tchèque (traduits une fois sur deux lors de la projection). Malgré cet obstacle, l'intrigue n'est pas difficile à suivre car on y retrouve tous les poncifs des romances sudistes au bord du Mississippi avec les joueurs portant beau, les bateaux à aube, les belles énamourées en crinoline et, bien entendu, le traître qui cache bien son jeu. Le film contient une course entre deux bateaux sur le fleuve dont des séquences furent réutilisées ultérieurement par Ford pour Steamboat Round the Bend (1935). Si l'on excepte une séquence de duel au milieu des arbres et la rencontre de l'héroine et de son prince charmant dans le miroir de l'eau d'un puits, le reste du film est quand même bien banal, même à l'aune de 1923. John Gilbert était déjà une étoile naissante qui allait briller de tous ses feux à partir de The Big Parade (La Grande parade, 1925). Ici, il n'a pas grand chose à faire à part porter beau ses vêtements seyants de gentleman sudiste à la Rhett Buttler. Lors de sa sortie, les critiques parlèrent d'un film sans atmosphère qui générait l'ennui. Il faut dire que l'histoire s'enlise rapidement et manque d'action. On reste confiné en studio bien trop longtemps. Cameo Kirby n'est pas un grand Ford, ni un grand Gilbert. Un rendez-vous raté.

jeudi 11 décembre 2014

Straight Shooting 1917

Cheyenne Harry (Harry Carey)
Un film de John Ford avec Harry Carey, Molly Malone, George Berrell, Hoot Gibson et Vester Pegg

Thunder Flint (Duke R. Lee), à la tête du clan des éleveurs de bétail, souhaite chasser de ses terres le fermier Sweet Water Sims (G. Berrell). Il engage un tueur du nom de Cheyenne Harry (H. Carey) dont la tête est mise à prix...

Le duel entre Harry et Fremont (Vester Pegg)
En 1917, John Ford commence à réaliser des westerns de deux bobines pour la Universal avec son complice l'acteur Harry Carey. Après seulement quelques mois d'apprentissage, il réalise un premier long métrage de 5 bobines, la longueur habituelle de ces années-là. Straight Shooting n'offre pas un scénario d'une grande originalité, c'est l'habituel conflit éleveur-fermier qui y est développé. Ford se concentre moins sur la psychologie des personnages que sur la méchanique de l'action westernienne. Il faut replacer le film dans son contexte. En 1917, il y a une figure qui domine le genre du western de la tête et des épaules, c'est William S. Hart. Ses films sont des modèles dramatiques et visuels offrant des personnages complexes de mauvais garçons qui acceptent de se réformer souvent pour l'amour d'une femme. Le personnage de Cheyenne Harry joué par Harry Carey est un peu similaire en ce qu'il est un tueur recherché qui va changer de camp pour les beaux yeux de Joan (Molly Malone). Cependant, Carey n'a pas du tout le charisme de Hart et ressemble plus à un fermier sympathique (ce qu'il était dans la vie) qu'à un tueur de sang froid. Au fond, il correspond bien aux personnages romantiques et sentimentaux qu'affectionnait Ford, là où Hart était plus noir et plus torturé. En fait, pour schématiser, on pourrait dire que Carey est l'ancêtre de John Wayne quand Hart annonçait déjà Clint Eastwood. A sa sortie, la presse professionnelle a fait un très bon accueil au jeune réalisateur. On peut lire ainsi: "Il faut féliciter l'auteur et le réalisateur pour avoir sélectionné des scénes et des situations fascinantes pour le film. Le panorama westernien est présenté avec une photo claire et attrayante et les épisodes de chevauchées et de bagarre sont jouées avec élan et enthousiasme." C'est donc bien le rythme rapide du film avec son montage inspiré de Griffith qui a attiré l'attention. La scène du duel entre Harry et Fremont est de ce point de vue représentative du montage de Ford avec une succession de plans courts et de gros plans des visages des protagonistes. Un western tout à fait intéressant.

mercredi 3 décembre 2014

Le Roman de la midinette 1916

Un film de Louis Feuillade avec Musidora et Lise Laurent

La femme du capitaine Ferry (L. Laurent) accueille chez elle la veuve et la fille Jeanne (Musidora) d'un soldat du régiment de son mari. Jeanne est atteinte de phtisie et pleine de notions romatiques. Elle entame secrètement une correspondance avec un soldat esseulé...

Ce court-métrage de Feuillade offre à Musidora un rôle à sa mesure. A la fois femme-enfant innocente et rouée, elle rêve du grand amour en se lançant à corps perdu dans une correspondance avec un soldat qu'elle n'a jamais vue. La belle phtisique ne réussit pas à surmonter son chagrin en apprenant que celui qu'elle aime en secret est gravement blessé et risque de mourir. Il semble que quelques séquences manquent à l'appel au moment où elle apprend la nouvelle, ce qui affadit un peu le propos. Cependant, ce joli court-métrage réussit à nous intéresser jusqu'à  son dénouement. Un Feuillade mineur mais intéressant pour son interprétation.

L'Autre victoire 1914

Un film de Gaston Ravel avec Jeanne-Marie Laurent et Musidora

Jeanne Ducastel (J.-M. Laurent) est veuve et souhaite se remarier avec le Dr. Gauthier, lui aussi veuf, avec une fille adolescente Christiane (Musidora). Le fils de Jeanne n'accepte pas cett union et rompt toute relation avec sa mère...

Tout comme ses confrères de la Gaumont, Feuillade et Perret, Gaston Ravel réalisait aussi des courts-métrages patriotiques au sein de la firme. Il utilisait les mêmes acteurs que ses collègues. Et on a donc la surprise de retrouver Musidora, à jamais associée aux personnages vénéneux des sérials de Feuillade, en jeune adolescente innocente avec anglaises à la Mary Pickford. Gaston Ravel n'a pas le talent de ses confrères en terme de réalisation. Il est plus banal et moins ambitieux. Cependant, L'Autre victoire n'est pas dépourvu d'intérêt. Tourné en extérieurs dans le sud de la France, il permet d'apprécier le talent de Jeanne-Marie Laurent en mère déchirée. L'intrigue est simple, mais elle ne tombe pas dans la mièvrerie. Musidora réussit à réconcilier la mère et le fils par l'intermédiaire de leur demi-soeur sans tomber dans le pathos. Dans un autre film court de Ravel intitulé Le Grand souffle, Musidora apparaissait aussi à contre-emploi en chanteuse d'opéra en vacances qui ramenait dans le droit chemin un 'nervi' marseillais interprété par René Navarre. Un court-métrage sympathique.

Marraines de France 1915

Madeleine (F. Fabrèges) déguisée en domestique
Un film de Léonce Perret avec Fabienne Fabrèges, Armand Dutertre et Valentine Petit

Sur une place méditerranéenne, on organise une tombola parmi de jolies baigneuses pour choisir des marraines de guerre pour les soldats au front sans famille. Madeleine (F. Babrèges) doit écrire à un certain Jacques Bertin...

Ce court-métrage de Léonce Perret a l'avantage par rapport à de nombreuses bandes patriotiques de l'époque d'être une comédie. Même si l'on s'intéresse aux marraines de guerre, Perret réussit à injecter de l'humour dans les situations. Ainsi un groupe de jeunes femmes délurées deviennent par jeu des marraines d'inconnus. La jolie Madeleine (Fabienne Fabrèges) ment à son 'filleul' en lui faisant croire qu'elle est une vieille dame. Si bien que la visite de l'intéressé se transforme en vaudeville avec Madeleine qui échange son identité contre celle de sa domestique plus âgée. Evidemment, elle regrette vite cette supercherie et avoue au beau soldat sa véritable identité. Madeleine épouse donc Jacques qui retourne au front le jour même. Même si l'intrigue prend un tour tragique avec la blessure de Jacques, les amoureux sont cependant réunis après la guerre du soldat. Le film a été reconstitué récemment; mais bizarrement un certains nombres de scènes (visibles sur le site Gaumont-Pathé Archives) ont été éliminées de cette restauration. C'est un peu dommage car elles permettaient de suivre mieux la supercherie organisée par Madeleine. En tout état de cause, il s'agit d'une délicieuse comédie superbement interprétée par Fabienne Fabrèges, l'interprète préférée de Perret dans ces années de guerre. Le metteur en scène montre, une fois de plus, sa supériorité sur ses collègues français par la qualité de ses éclairages, sa direction d'acteur remarquable et son sens comique et dramatique.

mardi 2 décembre 2014

Alsace 1916


Un film d'Henri Pouctal avec Gabrielle Réjane, Albert Dieudonné, Francesca Flory, Camille Bardou et Berthe Jalabert

1872. L'Alsace est annexée par l'Allemagne. M. et Mme Obey (M. Barbier et Gabrielle Réjane), des patriotes alsaciens, chantent la Marseillaise à tue-tête ce qui leur vaut une expulsion vers la France. Leur fils Jacques (A. Dieudonné) reste au pays pour diriger la filature familiale. Il tombe amoureux de Marguerite Schwarz (F. Flory) la fille de ses voisins allemands...

En 1913, la grande comédienne Gabrielle Réjane crée la pièce de Gaston Leroux Alsace. Trois ans plus tard, la pièce est adaptée au cinéma par la société Film d'Art avec le metteur en scène Henri Pouctal. On a oublié de nos jours l'importance de Réjane qui était la seule vedette internationale française à côté de Sarah Bernhardt, la seule qui fasse également des tournées internationales. Contrairement à la grande Sarah dont les mimiques théâtrales paraissent horriblement surranées sur grand écran, Réjane montre qu'elle a compris qu'il faut modérer son expression au cinéma. Au lieu d'être dirigée par le tâcheron de service (Louis Mercanton) comme Sarah, Réjane est dirigée par un excellent réalisateur en la personne de Pouctal. Même si elle est la vedette du film, elle n'étouffe pas ses partenaires. Le récit patriotique de ce film bien que nationaliste, n'est pas aussi outrancier qu'on pouvait le redouter. Certes, on y retrouve les clichés sur les Allemands buveurs de bière et ripailleurs, mais les voisins Schwarz (joués par Camille Bardou et Berthe Jalabert) sont des petits bourgeois sympathiques et en aucun cas des Teutons sanguinaires et caricaturaux. Cependant, les différences de culture sont soulignées par le couple formé par Jacques, interprété par un tout jeune Albert Dieudonné, et son épouse Marguerite qui se disputent à tout bout de champ. L'aigreur est attisée par l'intense inimitié entre la femme et la redoutable belle-mère que joue Réjane. La déclaration de guerre en 1914 fait exploser toutes les rancoeurs. La femme et la mère se disputent le pauvre et faible Jacques qui est sommé de choisir son camp. Il n'en aura pas le temps et sera victime de la brutalité Allemande. J'ai été impressionnée par le charisme de Réjane qui donne à son personnage de mère abusive une dimension remarquable. Elle a un visage mobile et expressif et montre un talent naturaliste dans l'expression. Le jeune Albert Dieudonné, le futur Napoléon de Gance, montre son talent d'acteur. Il est par moment encore un peu théâtral, mais il sait déjà suggérer son émoi face à sa puissante mère. La copie teintée issue du Filmmuseum d'Amsterdam était de belle qualité et permettait d'apprécier le talent de composition de Pouctal. Il savait créer une réelle profondeur de champ avec des actions simultanées qui en disaient long sur les sentiments des personnages, comme lorsque Dieudonné au premier plan se morfond en présence de sa belle-famille qui festoie à l'arrière-plan. La scène finale a une certaine grandiloquence patriotique alors que Réjane, en grand deuil vêtue à l'Alsacienne, se réjouie de l'arrivée des troupes françaises en Alsace sur la tombe de son fils. Un film tout à fait intéressant qui m'a permis de découvrir Réjane.

dimanche 30 novembre 2014

L'Homme sans visage 1919

Un film de Louis Feuillade avec René Cresté, Gina Manès, Edouard Mathé, Louis Leubas et Gaston Michel

A Nice, Blanche Méry (G. Manès) travaille comme professeur de piano pour payer la pension de sa petite fille, placée chez des paysans. Elle fait la connaissance de Ralph Carson (R. Cresté) un officier américain qui tombe amoureux d'elle. Mais, Blanche trouve un travail de dame de compagnie auprès d'un mystérieux Comte de Brançais (E. Mathé), un mutilé de la face qui porte constamment un masque de velour noir...

Tourné dans l'arrière-pays niçois, ce mélodrame a été conçu pour mettre en valeur celui qui était alors une des idoles du public français, René Cresté. Il était devenu une star grâce à son incarnation de Judex (1917) où vêtu d'une cape noire et d'un chapeau aux larges bords il faisait battre les coeurs des spectatrices. Cette étoile filante du cinéma français, disparu prématurément à l'âge de 41 ans, avait une silhouette élancée qui est ici mise en valeur par son uniforme américain bien ceintré. Le scénario concocté par Feuillade a tout d'un roman-feuilleton pour midinette avec la fille-mère courageuse, le bel officier et l'ignoble prince teuton violeur et meurtrier. Avec de tels éléments, on aurait pu espérer avoir un développement dramatique intéressant à défaut de subtilité dans les personnages. Malheureusement, l'intrigue est à deux sous et il n'y a strictement aucune surprise. Il semble cependant que la copie conservée est légèrement incomplète ce qui rend le déroulement de l'histoire encore plus simpliste (il doit manquer environ 10 min). Le public hier soir a d'ailleurs éclaté de rire en découvrant la véritable identité du Comte de Brançais (Edouard Mathé) qui apparut soudain avec casque à pointe, rictus, allure menaçante et affublé du surnom d'Attila sur une coupure de journal! Il faut dire que la transition était amenée plutôt brutalement. Pourtant, cet homme au masque de velour censé caché ses mutilations nous rappelait que c'était l'époque des gueules cassées. Malheureusement, Feuillade oublie la subtilité et préfère nous offrir un Edouard Mathé en prince allemand sanguinaire qui dissimule son identité. C'est cependant un plaisir de découvrir la jeune Gina Manès avec ses magnifiques yeux de lionne dans un rôle assez ingrat. Cresté est élégant et athlétique; Mathé n'est pas très convaicant et les autres membres de la troupe de Feuillade n'ont guère le temps de briller. On peut sauver la jolie cinématographie de Maurice Champreux, mais guère plus. Un Feuillade décevant.

mercredi 26 novembre 2014

The Unknown Love 1919

Doris (Dolores Cassinelli) éteint la lumière...
Les Etoiles de la gloire
Un film de Léonce Perret avec Dolores Cassinelli, E.K. Lincoln, Warren Cook et Robert Elliott

Doris Parker (D. Cassinelli) accepte de devenir la marraine de guerre d'Harry Townsend (E. K. Lincoln) un soldat sans famille parti au front en France. De fil en aiguille, elle tombe amoureuse de cet homme qu'elle n'a jamais vu...

Après la grosse déception de Lest We Forget (1918), c'est un plaisir de retrouver un Perret américain qui montre à plein les immenses qualités de ce metteur en scène. Tout d'abord, il y a la sublime cinématographie qui est ici le travail d'Alfred Ortlieb, où l'on retrouve les contre-jours et la poésie des extérieurs de Perret. Le film a été mis en production sous le titre, The Stars of Glory, avant finalement d'être intitulé du plus neutre The Unknown Love. Il faut dire que ce film à message patriotique a été commencé avant la signature de l'armistice et terminé après celle-ci. Tout en conservant son message de propagande pour remercier les 'Sammies' de s'être mobilisés pour la France, le récit englobe aussi la fin du conflit et le retour à la paix. La film a survécu dans une superbe copie française teintée et virée, qui est cependant légèrement incomplète. Perret a concocté une histoire simple et légèrement naïve à son habitude, mais il réussit à la traiter avec un tel talent de conteur et de pictorialiste que l'on oublie bien vite les limitations de cette histoire sentimentale sur fond de guerre. Le personnage de la marraine de guerre a inspiré plus d'un film à Perret. Mais, pour celui-ci, il bénéficie de la splendeur des paysages de la Nouvelle-Angleterre qu'il magnifie avec bonheur. Son héroine nous apparaît encadrée d'immenses hortensias, toujours éclairée de côté par une fenêtre qui suggère les rayons du soleil. Une séquence reste particulièrement en mémoire alors qu'elle se rend au bord de mer pour y jeter un bouquet en hommage à un ami officier mort en service avec un contre-jour magique sur fond de soleil couchant teinté orangé. Si l'histoire est simple, Perret sait y ajouter les petits ingrédients qui lui donneront un élément de vérité. Ainsi, le soldat Harry Townsend se trouve trop laid pour envoyer sa photo à sa correspondante. Il choisit, tel Cyrano, d'en adjoindre une d'un de ses amis. Cette substitution n'aura finalement pas d'effet sur l'amour que lui portait Doris. The Unknown Love fait certainement partie des meilleurs films américains de Perret par sa beauté plastique et sa poésie.
Harry (E.K. Lincoln) et Doris (D. Cassinelli)

Lest We Forget 1918

N'oublions jamais
Un film de Léonce Perret avec Rita Jolivet, Hamilton Revelle et L. Rogers Lytton

A l'entrée en guerre, la cantatrice Rita Heriot (R. Jolivet) se retrouve prise dans l'avancée des troupes allemandes dans son village de la Meuse. Elle fait office de télégraphiste avant de se retrouver prisonnière des Allemands...

Cette production américaine de Léonce Perret est un objet cinématographique à la structure narrative étrange. Réalisé durant l'été 1917 après l'entrée en guerre des Etats-Unis, le film se veut une propagande pour resserrer les liens historiques unissant la France à l'Amérique. Malheureusement, il semble que le metteur en scène n'ait guère eu de contrôle sur le montage de son film qui était financé par le Comte Giuseppe de Cippico, l'époux de l'actrice Rita Jolivet qui tient le rôle principal. Au final, les critiques des journaux professionnels américains tirèrent à boulet rouge sur cette superproduction mal ficelée qui semble avoir été montée par un incompétent. Variety se montre particulièrement virulent en démolissant systématiquement un film qui a coûté une fortune pour l'époque: entre 175.000 et 200.000 dollars. Il faut dire que les producteurs n'ont pas lésiné sur les moyens: une énorme figuration, une reconstitution du torpillage du Lusitania et de plus, le décorateur Henri Ménessier a reconstitué en studio un village français entier pour ensuite le bombarder. Malheureusement, cette débauche de moyens ne produit qu'un film épisodique qui semble accumuler les évenements spectaculaires au détriment du développement des personnages. Par instants, on retrouve le talent de directeur d'acteurs de Perret, comme lorsque Rita se prépare à être fusillée, mais on retombe rapidement dans une abondance de clichés. L'ajout de nombreux extraits de bandes d'actualités n'arrangent rien car ils détournent l'attention de l'intrigue et sont de qualité bien médiocres cinématographiquement parlant. On peut imaginer la déception de Perret de voir son projet dénaturer de la sorte par un producteur. Cette déconvenue l'a certainement poussé a devenir son propre producteur pour pouvoir contrôler ses propres films de A à Z comme l'ont fait à la même époque ses compatriotes expatriés comme Albert Capellani et Maurice Tourneur. Cette citation de la critique de Variety donne bien le ton: "En tant que 'grand film', c'est l'un des plus mauvais jamais tournés ici, sous tous les angles. Les gens du cinéma riront bien de ses défaut." La cinémathèque nous a présenté une copie française reconstituée dont la qualité visuelle était très moyenne, ce qui n'arrange rien. Un Perret décevant.

dimanche 23 novembre 2014

Les Gaz mortels 1916

Un film d'Abel Gance avec Léon Mathot, Maud Richard, Emile Keppens, Doriani et Maillard

Le professeur Hopson (Maillard) travaille sur les venins de serpent avec son aide Mathus (Léon Mathot). Alors que la guerre est déclanchée, il accepte de travailler au développement de gaz asphyxiants pour le compte du ministère de la guerre...

En 1916, Abel Gance travaille pour la société Film d'Art. Il tourne simultanément, près de Cassis, deux longs métrages Barberousse (1917) et Les Gaz Mortels. Ces deux films sont des mélodrames aux péripéties dignes des sérials de Feuillade ou de ceux réalisés aux Etats-Unis. En voyant cette oeuvre de Gance, il est d'ailleurs évident que le jeune cinéaste est très inspiré par les nouvelles techniques américaines de montage où l'on alterne gros plans, plans moyens et plans larges dans un rythme nerveux qui fait la part belle au suspense contrairement au cinéma français qui était resté fidèle aux techniques d'avant-guerre du plan large au rythme plus lent. Contrairement à Barberousse, Les Gaz mortels est en lien avec l'actualité de l'époque en ce qu'il s'intéresse aux gaz de combat qui commencent à être utilisés sur le front. Même si les personnages ne sont pas impliqués directement sur le front, il montre comment l'idée de 'gazer' l'ennemi peut devenir acceptable pour un scientifique pétri d'humanité. Gance combine donc des éléments d'actualité avec des personnages de mélodrame typique comme le couple de cousins (Emile Keppens et Germaine Pelisse) qui tentent d'éliminer le savant et son petit-fils pour capter un héritage. Le montage du film rappelle plus un film américain dans le style de ceux de D.W. Griffith que ceux de Feuillade. Gance a bien compris où se trouvait le futur de l'écriture cinématographique et quelques années plus tard, il innovera encore plus que les cinéastes américains. Ces Gaz mortels sont donc menés tambour battant avec montage alterné et montée du suspense. Il est fort dommage que la copie de ce film soit issue d'un contretype médiocre qui ne permet pas d'apprécier à plein le travail remarquable de Léonce-Henry Burel derrière la caméra. Un Gance important de sa première période.

L'Angélus de la victoire 1916

Fabienne Fabrèges
Un film de Léonce Perret avec Fabienne Fabrèges, Armand Dutertre, Laurenson et Emile André

Jacqueline Brizel (F. Fabrèges) est la fille de l'organiste du village (A. Dutertre). Amoureuse de Roger de Rambrun (Laurenson), elle ne peut l'épouser à cause de son aristocrate de père (E. André). Roger part au front. Jacqueline, apprenant quelques mois plus tard sa mort, perd la raison...

Ce film de Léonce Perret nous est parvenu sous la forme d'une copie incomplète de 20 min qui vient d'être restaurée en 2K. Néanmoins, cette superbe nouvelle copie permet d'apprécier à nouveau le talent de directeur d'acteurs de Perret. Avec une distribution sensiblement identique à celle d'Une Page de gloire (1915), il brode une nouvelle histoire de séparation de deux amants à cause de l'opposition d'un père, puis de la guerre. Mais contrairement au précédent film, Perret montre les effets dévastateurs de la guerre sur le moral des civils. Jacqueline ne réussit pas à surmonter le choc de la mort de celui qu'elle aimait et devient folle. Elle passe ses journées à bercer une poupée en forme de soldat qu'elle refuse de lâcher. Fabienne Fabrèges donne une interprétation bouleversante de la jeune femme traumatisée qui a remplacé son fiancé mort par cette poupée à son image. Montrant toujours son sens visuel aigu de la composition, Perret donne à cette histoire tragique son rafinement habituel. Bien que la moitié du film ait disparu (probablement décomposé), ce qui reste de L'Angélus de la victoire est à chérir. Encore une très belle oeuvre de Perret.

samedi 22 novembre 2014

Une Page de gloire 1915

Un film de Léonce Perret avec Fabienne Fabrèges, René Montis, Mme Vergny-Cholet et Armand Dutertre

Denise (F. Fabrèges) épouse, contre l'avis de ses grands-parents, Robert Laroche (R. Montis) dont elle est tombée amoureuse. La guerre éclate et Robert part laissant Denise enceinte. Quelques mois plus tard, Denise donne naissance à Jules. Ayant reçu une lettre désespérée de Robert, elle décide de partir vers le front pour lui amener leur enfant...

En 1915, Léonce Perret participe à l'effort de guerre en produisant des films patriotiques pour la firme Gaumont. Cependant, contrairement à de nombreuses bandes sans intérêt, Une Page de gloire est avant tout l'oeuvre d'un grand metteur en scène. Dès les premières minutes, il sait capturer l'intérêt du spectateur par son utilisation des décors naturels, sa science de la composition - secondé par son merveilleux opérateur Georges Specht - et son excellente direction d'acteurs. Lors de la séance à la Cinémathèque hier soir, les qualités de Perret ressortaient d'autant plus après une bande patriotique de Gaston Ravel, Le Grand souffle (1915), sans relief et un épisode des Vampires (1915) de Feuillade qui paraissait primitif en comparaison. Feuillade restait fidèle aux plans séquences et se préoccupait de l'action plus que de la psychologie des personnages, alors que Perret était attentif aux petits détails qui donnent de la profondeur aux personnages. De plus, il encadrait ses acteurs dans une vision poétique de la nature qui donne à ses images un souffle et une vie tout à fait extraordinaires. Le début du film est de ce point de vue magique. Denise retrouve son amoureux sous les arbres en fleurs dans une prairie aux longues herbes qui ondulent sous le vent. Le mouvement de l'image semble accompagner les sentiments de ses personnages; le paysage fait partie intégrante de l'intrigue. Dans cette nouvelle restauration numérique 2K, l'image est d'une nettetée et d'une pureté confondante et permet de mesurer l'extraordinaire beauté de la cinématographie. Léonce réussit à nous émouvoir avec cette histoire patriotique qui dans d'autres mains serait ridicule. Denise va risquer sa vie pour que son époux, au front, puisse voir leur enfant. Son voyage se révèle mouvementée et elle se retrouve sur la ligne de front sans le vouloir. Les Poilus ne sont pas enjolivés. On les voit dormir par terre ensemble durant leur temps de repos. Puis, lorsque Robert leur annonce la naissance de son fils, ils se lèvent tous en ensemble, joyeux, et trinquent avec le nouveau papa. Que ce soit dans les scènes intimistes du foyer ou dans celles de bataille, Perret montre son sens du détail et la composition picturale. Un grand film de Perret superbement restauré qui va être projeté également à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé la semaine prochaine. A ne pas manquer!

jeudi 13 novembre 2014

Maudite soit la guerre 1914

Liza Modzel (S. Berni) fait ses adieux à Adolf Hardeff (Baert)
Un film d'Alfred Machin avec Baert, Suzanne Berni, Fernand Crommelynck et Albert Hendricks

Dans un pays non défini, la guerre est déclarée séparant pour toujours Adolf Hardeff (Baert), venu d'un pays voisin et maintenant ennemi, de son son ami Modzel (A. Hendricks), ainsi que sa soeur Liza (S. Berni) dont il est épris...

Tourné en 1913 et sorti en mai 1914, ce film antimilitariste et pacifiste d'Alfred Machin était prémonitoire du conflit mondial qui allait bientôt éclater. Cette oeuvre est remarquable à plus d'un titre. Tout d'abord, il s'agit d'un des tous premiers films réalisés en Belgique, marquant les débuts de la production cinématographique dans le plat pays. Ensuite, c'est un film entièrement colorié au pochoir par le procédé Pathécolor ce qui lui donne un relief tout particulier. Le film est à la fois une réalisation cinématographique de première classe pour son époque, pour la qualité de sa composition, du jeu des acteurs et l'articulation de l'intrigue, et aussi pour sa dénonciation du nationalisme qui mène à la guerre. La simplicité de l'intrigue met en relief les différents personnages. Tout d'abord, il y a Hardeff, venu d'un pays voisin et ami, qui est venu apprendre le pilotage en compagnie de son ami Modzel. Ils sont tous deux dans l'armée, mais amis. La brutale entrée en guerre de leurs pays respectifs va faire d'eux des ennemis et les mettre l'un face à l'autre pour un combat à mort, de la même manière que dans le futur Wings (Les Ailes, 1927) de William Wellman. Aucun des deux ne réchappera de cette lutte à mort. De son côté, Liza, la soeur de Modzel, qui aimait Hardeff perd à la fois un fiancé et un frère. Alors qu'elle songeait à refaire sa vie avec un autre officier, elle découvre effrayée une breloque sur sa chaîne de montre. C'est elle qui avait offert cette breloque à Hardeff à son départ, et l'officier se désigne lui-même comme le meurtrier de son fiancé. Liza décide d'entrer au couvent et le film se clôt sur un gros plan du visage de la belle Liza, une grande et belle actrice belge qui ressemble à la star française Suzanne Grandais. Si vous voulez découvrir ce film d'Alfred Machin, il est disponible en ligne sur le site European Film Gateway

dimanche 9 novembre 2014

J'accuse (1919) d'Abel Gance à la Salle Pleyel le 8 novembre 2014

Edith Laurin (Maryse Dauvray) et Jean Diaz (Romuald Joubé)

J'avais découvert, éblouie, sur grand écran cette superbe restauration du film de Gance en octobre 2009 au Festival de Pordenone en Italie (Giornate del cinema muto). J'avais alors écrit une critique enthousiaste à mon retour du festival. Voici mes impressions d'alors:
Ce film d'Abel Gance est sorti en DVD l'année dernière aux USA chez Flicker Alley. La restauration réalisée par le Nederland Filmmuseum, Amsterdam et Lobster Films Paris a été faite à partir d'éléments divers et offre la version la plus longue à ce jour du film. J'ai vu -bien entendu- plusieurs fois le film sur ce DVD. J'en avais tiré que les éléments mélodramatiques réduisaient l'impact du 'réveil des morts' de la partie finale. Avant la projection, j'ai pu parler avec diverses personnes qui avaient été impliquées directement dans cette restauration. Toutes sans exception avaient les mêmes réserves sur le contenu mélo et le jeu des acteurs. J'ai également discuté avec le musicien en charge de l'accompagnement, Stephen Horne. Cet excellent pianiste et compositeur anglais avait passé du temps à regarder le film pour bien l'assimiler sans pour autant mettre par écrit sa musique. Il arrivait devant ce marathon (3H15!) avec une certaine tension mais avait déjà des idées bien arrêtée en ce qui concernait certains éléments comme les chansons françaises traditionnelles du début du film.
J'aurais du retourné sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler du mélodramatisme excessif du film. D'abord cette copie est une pure merveille de clarté et d'homogénéité (quand on sait que les éléments étaient très divers!). La photographie de Léonce-Henri Burel dégage une poésie incroyable aussi bien dans les scènes d'extérieurs où on sent littéralement le frémissement du vent dans les branches et on a l'impression d'entendre les ruisseaux qui courrent. Les scènes au bord de l'eau avec Romuald Joubé et Marise Dauvray sont sublimes de beauté. Certes, cette beauté est visible sur le DVD, mais, sur cette copie 35 mm, c'est incomparable. Quant au jeu des acteurs, l'aspect excessif disparait sur grand écran où leur ampleur soudain devient juste. Comment expliquer cette différence ? Ce n'est pas la première fois qu'un film se révèle à moi sous un nouveau jour sur grand écran, mais, cette fois-ci, c'est particulièrement troublant. D'abord, il y a le problème de la vitesse de projection. Apparemment, il y a eu d'âpres discussions avant le festival: 16, 17 ou 19 im/sec? Finalement, David Robinson, le directeur du festival, m'a confirmé que le film est passé à 17 im/sec, un compromis entre le DVD (à 19) et les 16 im/sec proposées par Kevin Brownlow. A cette vitesse, tout tombe en place. Les mouvements restent légèrement rapides dans les scènes d'action, mais pour les scènes intimes, c'est parfait. Et puis, il y a la musique. Stephen Horne nimbe le film d'une poésie et d'une subtilité qui élimine entièrement le grotesque de certaines scènes. Son interprétation du personnage de Maria Lazare, qui est un revanchard particulièrement caricatural, est formidable: il lui offre un thème comique qui donne de l'ampleur au personnage au lieu de le ridiculiser. De même, Séverin-Mars, la brute épaisse, a ici une épaisseur humaine que je ne soupçonnais pas. Le film tomble en place, tel que Gance l'avait voulu. Une vision poétique, complexe et parfois très ambiguë de la guerre et de ses conséquences. Les intertitres qui sont parfois un peu ronflants (le traducteur américain des intertitres m'a parlé de  'purple prose' = style ampoulé!) prennent soudain toutes leurs places. Il s'accordent avec le style visuel du film. Contrairement aux Ten Commandments de De Mille, que j'ai vu également au festival, ils ne suscitèrent pas le rire. D'ailleurs, il y avait une émotion visible dans le public. On sentait une tension et une attention inhabituelle. Après un tout petit entracte, le film a repris son cours et Stephen Horne s'est à nouveau surpassé pour la dernière partie. Toutes les personnes auxquelles j'ai parlé à la fin du film ont dû reconnaître qu'ils avaient été vraiment émus par le film et les personnages. Un film comme celui-ci ne peut être vu que sur grand écran avec un accompagnement musical 'live'. La musique de Stephen Horne était particulièrement remarquable en indiquant les sentiments intimes des personnages et l'atmosphère d'une scène sans la souligner excessivement. (D'autant plus que le film a été présenté à Amsterdam récemment avec un accompagnement de guitare électrique complètement raté.)
J'ai pu observé à quel point Kevin Brownlow était tendu avant la projection de ce film qui lui tient particulièrement à coeur. Il a été totalement justifié par cette projection : ce film est effectivement une expérience émotionnelle qu'il faut avoir vécue.
On ne peut que regretter que cette restauration n'a toujours pas été programmée en France. Gance semble toujours appartenir à la liste des cinéastes 'maudits' en France... Et le film est considéré par certains comme un 'poison pour le public'. Mais quand une restauration de cette envergure est réalisée, il serait bien qu'une institution quelconque offre une projection au public français avec -de préférence- une très bonne musique (la partition orchestrale de Robert Israel ou le piano de Stephen Horne).
P. Schoeller
Cinq ans plus tard, J'accuse  a enfin droit à sa première française, en grandes pompes, avec tous les corps constitués, à la Salle Pleyel. Le film ne semble pouvoir être montré dans notre pays que dans un cadre officiel: la commémoration de la Grande Guerre. Pourtant de nombreux festivals internationaux n'ont pas attendu cette commémoration pour projeter le film qu'ils considéraient comme une oeuvre importante dans  l'histoire du cinéma mondial. Même avec 6 ans de retard depuis la première projection du film, il faut quand même se réjouir que J'accuse ait enfin droit à une projection publique. Pourtant Arte claironnait dans ses communiqués de presse que nous allions avoir droit à une "première mondiale". En fait, la chaîne franco-allemande ne parlait pas du film, mais de la nouvelle partition commandée au compositeur français Philippe Schoeller pour l'accompagner. Comme c'est pratiquement toujours le cas pour les commandes d'Etat, on a choisi un compositeur contemporain dans la mouvance de l'IRCAM. Dans de nombreuses interviews relayées par la presse, Schoeller nous a expliqué sa technique pour accompagner le film. J'ai été assez sidérée de l'entendre dire lors une interview à France Musique le 4 novembre dernier que, pour composer cette partition, "il ne faut pas trop regarder le film." [sic] En fait, sa perception de la musique pour le cinéma muet est parfaitement cohérente: il vaut éviter d'illustrer l'image. Comme il le dit, dans un langage aussi abscons que sa musique: "La musique n’a pas besoin de dire ce qui est déjà dit. Elle aspire à révéler l’indicible. Il lui faut garder une distance, se contenter d’enrober le film en se choisissant quelques couleurs, climats ou nappes expressives qui alors structurent le discours en fonction de champs sémantiques récurrents." De la théorie à la pratique, il y a un monde. La partition que nous avons entendue à la Salle Pleyel n'était certainement pas illustrative. Si à l'écran on chantait la Marseillaise ou une chanson populaire (mentionnée dans les intertitres), la musique de M. Schoeller les ignorait totalement. Après tout, ce parti pris peut avoir un sens si la musique réussit à magnifier les sentiments et les émotions des personnages. Hélas, nous n'avons entendu qu'une grisaille sonore qui ignorait superbement les éléments de l'intrigue, en particulier les moments d'humour. Il y a un malentendu à clarifier. Abel Gance n'était pas un cinéaste cérébral. C'était un émotif, un instinctif qui repondait à ses émotions profondes. Ses images étaient le reflet de celles-ci. Alors, pourquoi devrait-il être illustré par une partition purement conceptuelle et abstraite qui ne répond pas aux émotions des personnages? C'est un non-sens. Il existe pourtant des compositeurs de talent en France comme Amaury du Closel qui a fait une superbe musique pour Michel Strogoff (1926) ou Marc-Olivier Dupin pour Monte-Cristo (1928) qui savent se mettre au service des images. 
C'est grâce au talent de Gance que le film survit à ce traitement. Le manque d'empathie de la musique ne m'a empêchée de suivre avec intérêt ce mélodrame transcendé par la beauté des images et le lyrisme de son réalisateur. Tous les acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes ; Maryse Dauvray, Séverin-Mars et Romuald Joubé sont réellement possédés par leurs personnages auxquels ils donnent une vérité sans pareil. L'intensité émotionnelle vient aussi du travail sur la lumière avec des clairs-obscurs magiques. Alors, il faut profiter de cette commémoration pour découvrir le film sur grand écran dans de nombreuses projections (accompagnées au piano) à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, à la Cinémathèque française et à Compiègne. 

vendredi 7 novembre 2014

Unter der Laterne 1928

Max (Paul Heidemann), Else (Lissy Arna) et Hans (Mathias Wieman)
Sous le lampadaire
Un film de Gerhard Lamprecht avec Lissy Arna, Paul Heidemann, Mathias Wieman et Gerhard Dammann

Else (L. Arna) ne supporte plus d'être cloîtrée à la maison par son père (G. Dammann). Un soir où elle était sortie avec son petit ami Hans (M. Wieman), son père refuse de lui ouvrir la porte. Elle part rejoindre Hans et son ami Max (P. Heidemann) et ils décident de monter un numéro de music-hall. Pendant ce temps, son père la fait rechercher par la police car elle est mineure...

Gerhard Lamprecht se rattachait à un courant social du cinéma allemand des années 1920 qui est moins exploré que celui de l'expresionnisme. Le metteur en scène s'intéressait à la vie de tous les jours des petites gens comme dans Menschen untereinander (117 bis Grande Rue, 1926) où il faisait revivre en studio les locataires d'un petit immeuble berlinois qui se rebellaient contre leur propriétaire. Unter der Laterne offre un univers plus noir en suivant la destinée tragique d'Else, une jeune fille de la petite bourgeoisie qui est entraînée bien malgré elle dans les bas-fonds berlinois. L'avertissement au début du film ne laisse aucun doute sur l'intention de Lamprecht. Il veut prévenir les parents contre les excès autoritaires qui peuvent mener leurs enfants à la fugue. Il veut aussi montrer le sort des femmes dans une société dominée par les hommes où elles n'ont pas voix au chapitre. Comme la Loulou de Pabst, Else devient une fille perdue qui ne peut plus remonter à la surface. A cause de son père, elle perd son travail au music-hall et se voit acculée à accepter d'être entretenue par un impressario sans scrupules. Lorsqu'il se suicide ayant tout perdu, elle tombe encore plus bas et un souteneur la met sur le trottoir, sous le lampadaire du titre. L'atmosphère n'est cependant pas aussi sombre que chez Pabst. Lamprecht garde espoir en l'âme humaine. Hans et Max veulent sauver Else, sans y parvenir à cause de son ignoble souteneur. Comme dans Mutter Krausens Fahrt ins Glück (L'Enfer des pauvres, 1929) de Phil Jutzi, le bonheur ne peut être atteint que dans la mort. Pourtant, Lamprecht apporte une lueur d'espoir dans la scène finale alors qu'Hans regarde sa petite fille. Lui ne fera les erreurs du père d'Else. Un film bien interprété et qui offre une vision passionnante de l'Allemagne des années 1920.

dimanche 2 novembre 2014

En Angleterre occupée de K. Brownlow (VII)


Une nouvelle critique d'En Angleterre occupée vient de paraître dans la revue Positif  N°645, novembre 2014 :